Постоянное представительство Российской Федерации при ООН

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Интервью Постоянного представителя Российской Федерации при ООН В.И.Чуркина изданию «L'Obs» (ex - Nouvel Observateur)

26 января 2016 года


Полный текст интервью (франц.):


SYRIE. "On ne peut pas commencer les discussions en disant qu’Assad doit partir"

Célhia de Lavarène

Alors que les représentants de l'opposition syrienne se réunissent ce mardi 26 janvier à Ryad pour décider de leur participation éventuelle aux prochains pourparlers de paix, le représentant permanent de la Russie auprès des Nations-Unies, Vitali Tchourkine, donne à "L'Obs" son regard sur ces négociations balbutiantes. Interview.

 

L’Arabie Saoudite organise une réunion à Ryad avec une partie des groupes d'opposition qui leur sont proches. La Russie a fait de même avec d'autres groupes et l'Iran a déclaré avoir quelques idées sur le sujet. Pour compliquer un peu plus les choses, le gouvernement syrien demande à voir la liste des délégués de l'opposition. Comment pensez-vous sortir de cette impasse?

 

- Il n’y a pas d’impasse. Il y a un problème qui doit être résolu. Je pense que la résolution 2254, qui a été adoptée à l'unanimité le 18 décembre dernier, ouvre clairement la voie aux moyens de résoudre ce problème. Elle rappelle que les membres de l'opposition se sont réunis à Moscou, au Caire et à Astana et met en évidence les domaines qui sont des étapes importantes dans nos pourparlers avec l'opposition. De nombreux pays tentent d'aider à mettre sur pied des délégations composées d’une opposition crédible, en vue des pourparlers avec le gouvernement syrien. Or, à Ryad malheureusement, ils ont formé le Comité Suprême de Négociations, comme ils l’appellent - et malheureusement encore, ils insistent, c’est ce que je crois comprendre – sur le fait qu’ils sont les seuls qui devraient représenter l'opposition lors des pourparlers avec le gouvernement syrien.

À notre avis, si cela s’avérait être le cas, ce serait la répétition des erreurs de Genève 2 où la Coalition nationale n’était pas vraiment représentative de l'ensemble du spectre de l'opposition. Cela n’a, alors, pas créé une incitation suffisante pour le gouvernement syrien à s’engager dans les pourparlers. Même si je dois reconnaître que les représentants du gouvernement étaient présents et qu’ils sont restés, ils n’ont pas perçu la délégation comme représentant l'ensemble de l'opposition syrienne. La résolution stipule également que de Mistura, l'Envoyé spécial du Secrétaire général, et le Secrétaire général doivent avoir le dernier mot pour ce qui concerne la composition de la délégation. Par conséquent, nous pensons que puisque le problème est clairement identifié, ils doivent faire cet effort.

Il y a d’autres groupes d'opposition qui disent vouloir jouer un rôle dans ces pourparlers. Staffan de Mistura doit prendre une décision sur une composition équilibrée de l’opposition.  Nous espérons que ce groupe, qui a été formé par Ryad, va respecter la décision de l'Envoyé spécial ainsi que la résolution 2254. Par conséquent, je ne vois pas cela comme un problème insoluble. Ce n’est qu’un des problèmes qui doivent être traités.

 

Dans le texte de la résolution, il n’est aucunement fait mention du rôle du président Assad. Quel sera son rôle, s’il en a un?

 

- C’est une très bonne question parce que je pense que c’est l'une des raisons pour lesquelles cette crise a dégénéré jusqu’à devenir incontrôlable, - souvenez-vous lorsque la crise a débuté, certains pays étrangers, qui essaient de changer les régimes à travers le Moyen-Orient, ont clairement sous-estimé la situation. Vous vous souvenez sans doute aussi de ces fonctionnaires américains qui prédisaient qu’Assad allait partir d’ici quatre semaines ou quatre mois, peu importe. C’était l’objectif qu’ils poursuivaient en apportant leur appui à l'opposition.

De toute évidence, ils ont fait une mauvaise évaluation de la configuration interne de la Syrie et de l'importance de la stature du président Assad. Lorsqu’ils parlent de son départ, ils ne parlent pas seulement d’une personne, ils parlent d’un changement fondamental de régime. Pour le gouvernement syrien, Bachar al-Assad est non seulement symboliquement leur président, il est aussi une figure importante en termes de résistance contre le terrorisme, contre l'opposition. Ainsi, tout au long de ces années de crises, il aurait dû devenir évident - et il est devenu évident - pour tous ceux qui ont voté la résolution 2254, de la soutenir. Vous ne pouvez pas commencer les discussions en disant qu’Assad doit partir.

Inévitablement, cette question sera évoquée un jour ou l’autre. Je suis surpris de voir, qu’encore aujourd’hui, c’est toujours un sujet de discussion au sein du conseil de sécurité- j’entends mes collègues occidentaux continuer de dire qu'Assad doit partir. La question qui me vient à l’esprit est celle-ci: veulent-ils que les pourparlers commencent, ou veulent-ils que la crise continue ? Veulent-ils que des dizaines de milliers de réfugiés continuent d’affluer ? Veulent-ils que la physionomie de l’Europe change du tout au tout, au cours des années à venir ? S’ils ne veulent pas que cela se produise, s’ils ne veulent pas que leur pays, la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne ou d'autres, soient encore plus affectés par la crise syrienne, ils doivent comprendre que s’ils commencent par dire qu’Assad doit partir, ils alimentent cette crise, ils incitent des milliers de refugiés à venir en Europe, encore et encore. Ceci, à mon avis, est la preuve qu’ils n’ont pas encore défini une stratégie précise qui pourrait aider à résoudre la crise syrienne.

 

Vous n’avez pas vraiment répondu à ma question quant au futur du président Assad?

 

- Premièrement, la résolution, ainsi que beaucoup d’autres documents – y compris le communiqué de Genève 2012- disent clairement que c’est aux Syriens d’en décider. Je ne peux pas vraiment répondre à cette question car ce n’est pas à moi de décider. Ma compréhension de la situation, -et cela est très clair– c’est que l'objectif des négociations est de former un gouvernement inclusif, crédible et multiconfessionnel dans les 6 mois et aussi de définir un processus constitutionnel afin d’adopter une nouvelle constitution pour ensuite avoir des élections.

Après cela, le rôle de la Syrie, selon la nouvelle constitution, deviendra plus clair. Dans quelles conditions les négociations vont-elles avoir lieu ? Quelles sont les décisions et les questions auxquelles nous serons confrontés si le président Assad participe à ces élections ? Cela doit faire partie du dialogue. Les politiciens occidentaux qui commencent leurs discours par cette question vont trop vite en besogne. Tout ce qu’ils font c’est d’essayer de retarder le processus. J’espère qu'ils le comprennent. S’ils veulent réellement que le processus démarre, ils doivent comprendre qu'il y a des questions qui devront être abordées plus tard. S’ils ne le comprennent pas, cela signifie qu’ils n’ont rien compris à la situation. C’est cette incapacité à comprendre la situation qui contribue aux difficultés pour trouver une solution politique pour la Syrie.

 

Madame Gamba, qui dirige le JIM (Joint Investigative Mechanism - mécanisme d'enquête conjointe) a été chargée par une résolution adoptée par le Conseil de sécurité, d’enquêter sur les attaques chimiques. Quelques diplomates disent que la Russie fera tout ce qui est en son pouvoir pour "torpiller" le travail de la commission d’enquête. Que leur répondez-vous?

 

- Je ne commenterai pas les raisons de tels propos. Nous avons adopté la résolution qui a créé ce mécanisme d’enquête. Nous avons négocié avec les Américains. Nous avons voté cette résolution. Par conséquent, nous sommes en faveur de l'enquête et nous espérons qu’elle sera efficace et qu’elle ne sera pas une enquête qui sera utilisée à des fins de propagande. Malheureusement, nous avons vu, lors de précédents cas d’utilisation de produits chimiques, que beaucoup de choses avaient été utilisées à des fins de propagande. Nous devons nous conduire de façon professionnelle. Nous soutenons cette enquête.

 

Pensez-vous, comme beaucoup de vos collègues, qu'une amélioration humanitaire aiderait les négociations?

 

- Bien sûr que oui. Les questions humanitaires sont de bonnes perspectives de percées dans les négociations. Ces derniers temps, nous avons des populations assiégées en Syrie. Alors que les négociations sont proches, nous avons entendu des diplomates au sein du Conseil de sécurité, déclarer que les sièges contre les populations devaient être levés, comme une condition préalable au début des négociations. Nous voulons voir des progrès sur le terrain en terme d’humanitaire. Nous avons beaucoup travaillé avec le gouvernement syrien sur diverses questions individuelles, pour aider à fournir une assistance humanitaire aux personnes dans le besoin. Nous avons fait beaucoup pour améliorer la situation humanitaire. Une nouvelle amélioration de la situation n’est possible, - et j’espère que tout le monde le comprend -, que si le conflit est stoppé.

Lorsque les combats cesseront, alors seulement il y aura une solution politique. Ceux qui essaient de transformer les questions humanitaires en condition préalable à toute discussion politique, aggravent tout simplement les problèmes humanitaires. Ils rendent un très mauvais service aux personnes dans le besoin en Syrie.

 

Pensez-vous que les pourparlers de Genève se tiendront rapidement?

 

- Je souhaitais vivement que cela ait lieu à la date convenue, soit le 25 janvier, Staffan de Mistura a dû demander quelques jours de plus pour parachever le travail. Personnellement, cela ne me dérange pas, mais je n’aimerais pas que cela aille au-delà de janvier. C’est la date limite décidée à Vienne par le groupe de soutien international pour la Syrie. S’il y avait un report sine die des négociations, ce serait un revers pour nos efforts. Tous les efforts diplomatiques ont besoin d'une dynamique. Nous avons eu trois réunions avec le groupe de soutien international, nous avons une résolution, c’est pourquoi nous devons pousser en faveur de ces négociations.

Dans un sens, je suis optimiste. Nous avons une occasion historique de résoudre enfin ce conflit. Nous sommes proche d’une solution. Si nous laissons passer cette occasion, nous aurons des raisons d’être très pessimistes quant à la situation sur le terrain, et la situation régionale dans son ensemble. Il y aurait de très graves répercussions pour l'Europe. J'espère que les Européens le comprennent, parce que je n’ai pas vraiment l’impression que la France ou le Royaume-Uni par exemple, -pour ne parler que de mes collègues du Conseil de sécurité,- s’impliquent dans ce règlement politique autant qu'ils le devraient. Ils disent qu'ils veulent participer aux pourparlers, mais tout ce que je vois, c’est que le Secrétaire d’Etat John Kerry et le ministre des Affaires étrangères, Serguei Lavrov sont impliqués dans les négociations et dans le processus politique. Je vois le Secrétaire Général de l'Onu et Staffan de Mistura, impliqués dans le processus politique, mais franchement, je ne vois pas les responsables français et les britanniques aussi impliqués qu’ils devraient l'être.

 

Comment envisagez-vous l'avenir de la Syrie ? Quel scénario prévoyez-vous?

 

- Le scénario est inscrit dans divers documents comme le communiqué de Genève et celui de Vienne : sont garantis l'intégrité territoriale et un pays non sectaire. Lorsque j’entends parfois, y compris de certains membres du groupe de soutien international pour la Syrie, que la Syrie va devenir un pays sunnite, je pense que c’est une approche très contre-productive. Malheureusement, avouons-le, cette tragédie, qui a commencé avec l'invasion par les États-Unis et le Royaume-Uni de l'Irak, a provoqué une situation où la division entre sunnites et chiites est devenue beaucoup plus profonde qu’elle ne l’était, et le problème entre les deux communautés est devenu beaucoup plus aigu que ce qu'il devrait être.

Désormais, il y a un réel danger pour l'intégrité territoriale de la Syrie et l'intégrité territoriale de l'Irak. C’est un problème très grave qui prouve combien il est impératif de faire de la lutte contre le terrorisme une priorité absolue. Malheureusement, certains pays occidentaux, ne sont toujours pas parvenus à en faire une priorité. Ils ne parviennent pas à choisir entre se débarrasser d’Assad ou combattre Daech. Ils doivent définir quelle est la priorité car cela ne va pas dans le sens des efforts internationaux pour résoudre la crise.

 

La Russie a été accusée de ne pas vraiment cibler ses attaques sur Daech. Est-ce vrai ou faux?

 

- Nous nous battons avec toutes sortes de forces sur le terrain.  Aujourd'hui, lorsque je lis dans les journaux comment les forces aériennes ont frappé la zone de Raqqa, je me pose des questions sur la façon dont la lutte contre Daech doit être menée. Voilà pourquoi nous exhortons tous les acteurs, qui mènent une campagne militaire en Irak et en Syrie, - y compris les Etats Unis, le Royaume Uni et la France - à vraiment travailler ensemble. Si nous établissons ce type de coopération, la question de savoir qui bombarde quoi ne se posera pas.

 

Une école a été bombardée a Alep. Qu’en pensez-vous?

 

- Contrairement à la campagne de raids aériens de la coalition menée par les Etats Unis, la nôtre est extrêmement transparente. Chaque jour, au département de la défense, nos généraux et l'Etat-major se rencontrent pour des séances d'information et montrent les cibles qui ont été bombardées. Ils montrent les images. A de nombreuses occasions, nous avons été accusés d'avoir bombardé des hôpitaux. Par la suite, nous avons vu des images de ces hôpitaux prises plusieurs jours après où on pouvait voir que les hôpitaux étaient toujours debout. Ils n’avaient pas été bombardés.

Ces accusations font partie de la guerre de l'information qui a commencé immédiatement après le début de la campagne aérienne de la Russie enSyrie. C'est ainsi. Toutes sortes de désinformation ont circulé. Incidemment, cela ne me dérangerait pas d’en apprendre un peu plus sur le nombre des victimes civiles qui sont imputées aux bombardements menés par les forces de la coalition américaine. Nous n’avons rien entendu à ce sujet. Je ne peux pas croire qu’il n’y en ait pas, vu la campagne de bombardements massifs, qui est menée depuis plus d'un an.

 

Que pensez-vous de la guerre au Yémen?

 

- C’est un vrai désastre. C’est quelque chose qui est hors de contrôle. Nous pensons que cela doit cesser de toute urgence. Nous soutenons le travail de cheik Ahmed, le représentant du Secrétaire General.  Clairement, ceci est un autre élément de la fracture entre les sunnites et les chiites au Moyen-Orient. Cette situation est très dangereuse et c’est un problème fondamental auquel la communauté internationale doit faire face afin de surmonter cette rivalité historique qui est particulièrement dangereuse à un moment ou la situation au Moyen-Orient est si chaotique.

 

 

Propos recueillis à New York par Célhia de Lavarène

 

L'Obs